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CONCLUSION
Ce que nous retenons ​
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La peau ; un organe imposant par sa taille, essentiel pour ses multiples propriétés mais avant tout singulier. Nous l’avons vu, la peau est génétiquement différente d’une personne à une autre. Et elle est d’autant plus singulière qu’elle réagit pleinement à son exposome. Qu’il s'agisse d’expositions liées à son environnement, son psychisme ou encore même son alimentation, la peau est en constante interaction avec de nombreux facteurs externes et internes venant influencer sa santé et générer différents états. Et s’il est possible de définir quatre grands types de peau (normale, grasse, sèche, mixte), chaque personne connaît un état de peau distinct en fonction de son mode vie : déshydratation, sensibilité, acné, peau mature, peau terne ou encore atopie. La peau réagissant très vite aux stimuli de son environnement, cet état de peau varie lui aussi rapidement. Mais si chaque peau est unique, pourquoi lui adresser des produits standardisés lorsqu’il s’agit d’en prendre soin ? C’est la position qu’affirment un certain nombre d’acteurs de la beauté tels que IOMA, Laboté ou encore Romy en proposant une offre de produits skincare personnalisés, souvent dits “sur-mesure”. Ces marques offrent alors des produits aux formulations pensées pour chaque client dans son individualité, à partir d’un diagnostic cutané plus ou moins poussé. Il s’agit principalement de comprendre par un questionnaire ce qui affecte l’état de peau d’un consommateur, ses attentes, et pour certaines marques de prendre des mesures cutanées (taux d’hydratation, de sébum, état des rides, taches, etc.), afin de confectionner “LA” formule la plus adaptée pour répondre à ses besoins et envies. En reprenant un phénomène révélé avec la haute couture, les marques de skincare personnalisé sont par ailleurs en mesure de répondre à un besoin d’unicité largement exprimé par les consommateurs, face à une surabondance de produits impersonnels. En suivant les récentes avancées en matière de digitalisation et de technologie, ces marques sont en mesure de développer davantage l’expérience client en proposant des diagnostics de peau à partir d’appareils de mesure, de miroirs connectés ou encore d’applications mobiles, afin de se rapprocher du produit sur-mesure.
La personnalisation dans le skincare s’illustre alors en tant que tendance différenciante. Pour le consommateur, c’est la promesse d’être écouté et reconnu par les marques et de pouvoir trouver un soin qui correspond à ses besoins mais aussi à ses envies. Car par leurs choix de consommation et leurs attentes, les consommateurs influencent directement, de manière consciente ou non, les offres des marques. Du côté des marques, se positionner sur une offre de soins personnalisés, c’est faire le choix d’un marché de niche, permettant de se démarquer dans le secteur très concurrentiel que constitue le secteur des cosmétiques. A la lecture de notre développement, nous comprenons que cette tendance est donc entretenue par ces deux mêmes acteurs. Dans leur volonté de changer de mode de consommation, les consommateurs attendent des marques d’être pris en compte dans leur individualité et apprécient tout particulièrement l’expérience de personnalisation. D’autant plus que les marques présentes sur le marché des skincare personnalisés s’attachent à prendre en compte d’autres tendances désormais attendues par les consommateurs telles que la naturalité des formules, le veganisme, le minimalisme, etc. Les marques de leur côté, entretiennent cette tendance, en tant qu’offre différenciante, notamment par leur discours marketing. Elles puisent dans les facteurs psychologiques qui régissent le besoin d’unicité exprimé par les consommateurs afin d’orienter leur réponse au plus près des attentes de ces derniers. Dès lors, si cette tendance est souhaitée et entretenue par l’ensemble des acteurs, pourrait-elle devenir la norme ?
Cette réalité semble pourtant toute autre. En premier lieu, nous sommes maintenant en mesure d’émettre des doutes sur sa réalité en tant que business model. Si les marques présentes sur ce marché mettent en avant le “sur-mesure” et le “soin unique”, nous concluons pourtant sur l’impossibilité du modèle “1 client = 1 formule unique”. Si par le discours des marques, le client entrevoit la possibilité d’acheter une crème unique, pensée pour lui et seulement lui, ces dernières puisent en réalité dans les échantillons de formules dont elles disposent pour les adapter à leurs clients. D’autre part, nous l’avons vu, la peau évolue si vite qu’utiliser le même produit sur une longue période, si personnalisé soit-il, paraît peu pertinent. Trouverons-nous la solution à ce modèle “1 client = 1 formule unique et à l’instant T” ? Seules les avancées technologiques et de la science nous ouvriront le champ des possibles. La question qu’il faut alors se poser est : devrions-nous souhaiter atteindre une telle solution ? Car comme nous l’avons vu, il ne faudrait pas attendre d’un cosmétique qu’il puisse résoudre toutes nos problématiques de peau. L’état de notre peau est le résultat de multiples paramètres que nous ne contrôlons pas tous. La pollution atmosphérique, le taux d’humidité dans l’air, les rayons UV sont autant de facteurs sur lesquels le consommateur a peu ou pas la main. Le sur-mesure en skincare apparaît alors comme une solution limitée s' il n’est pas couplé à une approche plus holistique de la beauté. De plus en plus, les consommateurs s’intéressent ainsi à la beauté dite “in-and-out” et incorporent des compléments alimentaires, massages du visage, alimentation équilibrée et routine sportive dans leur quotidien. L’idée que se font les consommateurs de la beauté dépasse les solutions qui subliment l’apparence extérieure. Ils perçoivent alors l’état de leur peau dans une optique de santé globale. Prendre soin de sa peau, c’est avant tout prendre soin de soi et de sa santé.
Par ailleurs, la tendance à la personnalisation dans le skincare semble s’illustrer dans des phénomènes sociaux opposés. Le consommateur, appuyé par les marques, prend conscience du caractère singulier de sa peau et désire des produits uniques, sur-mesure. Il souhaite être reconnu dans son individualité. Dès lors, il ne souhaite plus, voire ne supporte plus, partager ses soins avec ses concitoyens. Sa crème se doit d’être unique, elle doit être faite pour lui, quand il le demande, afin de correspondre à sa peau et ses besoins. Pour autant, nous observons en parallèle un besoin de collectif, de partage, d’appartenance à une communauté. Deux forces, deux attentes, semblent donc s’opposer. Cette opposition pourrait-elle expliquer cette faible démocratisation des soins pour la peau personnalisés, là où la marque IOMA a été créée il y a déjà 11 ans ? Plus encore, nous pouvons aller jusqu’à questionner les limites philosophiques qui se révèlent derrière la personnalisation. Cette volonté de souligner les différences jusque dans les produits de consommation ne risque-t-elle pas d’émietter le collectif ? La personnalisation appliquée à tous les domaines pourrait-elle entraîner une perte de collectif ? Cette recherche d’unicité, de valorisation personnelle et donc de personnalisation semble déjà s’étendre à bien des secteurs tels que l’automobile, le mobilier d’intérieur ou la mode. Faut-il espérer une personnalisation dans des secteurs tels que l’éducation, la politique ou encore la santé ? Microsoft, inscrit dans la plaquette de présentation de son accélérateur de startups AI Factory for Health "Our vision is a future of individualised medicine; tailored around the person, driven by science and data", marquant sa volonté de faire avancer la recherche et l'innovation en faveur d'une médecine sur-mesure. A ce titre, aux Etats-Unis, le sur-mesure s’étend au domaine de la pharmacie avec des marques comme PillPack. Cette startup créée en 2013 et rachetée par Amazon en 2018 propose la livraison à domicile des médicaments. En plus de la livraison, des fiches triées par jour et par heure permettent au consommateur de savoir précisément quel médicament prendre, à quelle dose et à quelle fréquence. Le consommateur n’a plus qu’à se laisser guider : le médecin envoie l’ordonnance à PillPack, et PillPack se charge des envois mais aussi du réassort. De ce fait, le consommateur n’a plus jamais à mettre les pieds dans une pharmacie et à recevoir des conseils et indications de posologie par un pharmacien.
Jusqu'où ira la personnalisation ?
Pill Pack est une start-up de livraison de médicaments à domicile, qui indique également au patient quand, combien et à quelle fréquence prendre ses médicaments. La prise en charge est totalement personnalisée.
Au-delà de l’aspect pratique que de recevoir directement chez soi ses médicaments ainsi que leur réapprovisionnement, nous nous rendons compte que cette personnalisation qui s’étend par la digitalisation du conseil, efface peu à peu les interactions sociales du quotidien.
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Finalement, nous observons un certain paradoxe se dessiner au sein de notre société : d’une part, une digitalisation accrue au service d'une personnalisation étendue à de nombreux domaines mais qui efface inévitablement certaines interactions du quotidien, et d’autre part un besoin social d'appartenance à une voire plusieurs communautés exprimé par les consommateurs. Et c'est aussi par les réseaux que ces communautés prennent forme. Nous pouvons alors nous demander si ces communautés construites en ligne suffiront à assouvir le besoin de collectif exprimé par les consommateurs ? Pourront-elles prendre le relais de l’interaction sociale qui se perd au profit de l'individualisation croissante de nos habitudes de consommation ?