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INTRODUCTION
De la personnalisation dans les cosmétiques ?​
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La consommation semble être de plus en plus marquée par un phénomène de personnalisation, que ce soit par exemple dans l’habillement avec “Nike by You” qui permet au client de personnaliser ses baskets, ou bien l’alimentaire où il est possible d’imaginer son propre sandwich chez Subway, voire même plus récemment dans les cosmétiques. Des cosmétiques personnalisés ? Vous ne le saviez peut-être pas mais à l’heure du “tout personnalisable”, le marché des cosmétiques s’est à son tour illustré dans cette tendance, et ce notamment en termes de produits de soin pour la peau. De nombreuses marques comme Pierre Ricaud, Laboté ou My Blend ont ainsi pensé leur business model autour de ce concept, en développant des diagnostics de peau permettant de générer des routines de soins adaptées aux besoins du consommateur. Et cela semble faire sens : chaque consommateur est unique et possède donc des problématiques de peau spécifiques, ainsi que des envies différentes. Proposer une routine de soins personnalisée semble donc être une offre logique de la part des marques, celles-ci veillant à répondre aux besoins des consommateurs.
Le marché des cosmétiques se découpe en différents segments que sont notamment les produits capillaires, le maquillage, les parfums, les produits d'hygiène personnels et les produits de soin pour la peau. C’est sur cette dernière catégorie que nous allons nous concentrer dans ce chef d'œuvre, et nous serons parfois amenées à employer le terme anglophone skincare pour y faire référence. Alors que le marché des cosmétiques a connu une baisse significative de son taux de croissance d’environ -8% en 2020 du fait de la crise sanitaire mondiale, le marché du skincare ne faiblit pas, bien au contraire. Il représentait le segment leader de la catégorie en 2018, générant 39% des revenus du marché de la beauté et a continué son expansion depuis. En 2020, il représente 42% du marché mondial des cosmétiques et affirme ainsi sa position de segment leader sur le marché (L'Oréal - Annual Report 2020, page 19). Les prévisions sont optimistes quant à l’évolution du marché du skincare, avec une estimation de la taille de ce marché de 189$ milliards d’ici 2025, soit une hausse de +27% par rapport à 2020.
TAILLE DU MARCHÉ MONDIAL DES SOINS DE LA PEAU DE 2012 À 2025 (en milliards de dollars)*.
Le marché du skincare a donc un bel avenir devant lui et est marqué depuis une dizaine d'années par une offre de personnalisation de ses produits (Les Echos Études, Cosmétique sur-mesure et nouvelles technologies : un nouveau marché, septembre 2019). Mais la personnalisation, qu’est-ce que c’est ? Le Larousse la définit comme “l'adaptation d'un produit, d'un service, d'un logement, etc., à la personnalité de celui à qui il est destiné”. La personnalité, c’est l’identité d’une personne, ce qui la différencie de toutes les autres, ce qui fait son individualité. En s’appuyant sur une définition marketing, la personnalisation est une “politique consistant à adapter tout ou partie du mix-marketing (produit, prix, communication, mode de distribution) en fonction d’un client individuel. Cette personnalisation peut être visible ou non, cosmétique ou significative” (www.mercator-publicitor.fr). Si nous nous penchons sur la personnalisation dans les soins de la peau, cela signifierait donc par extension de s’intéresser à chaque personne dans ce qu’elle a d’unique au travers de sa peau. Finalement, la personnalisation dans les cosmétiques, ça correspond à quoi ? C’est là que les choses se compliquent. Si la personnalisation dans les cosmétiques tend à se développer de plus en plus, elle semble se développer sous plusieurs formes lorsque nous observons les différentes marques qui s’illustrent sur ce marché. Lors de notre entretien avec trois conseillères de la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA), elles insistaient d’ailleurs sur le fait que chaque marque de cosmétiques avait sa propre définition de la personnalisation (Annexe II). En reprenant la définition donnée par le Larousse, on se rend compte qu’il n’y a pas d’allusion directe aux cosmétiques. Il s’agit alors de se référer directement à ce que disent les marques lorsqu’elles communiquent sur leurs produits personnalisés, pour comprendre ce qu’elles entendent par “personnalisation”.
“A la lecture de chacune [de ces définitions], on remarque que le point commun c’est l’objectif, c’est de créer des produits qui vont s’adapter pour répondre à des besoins de peau mais aussi à une attente consommateur”.
(Entretien FEBEA, janvier 2021 - Annexe II)
Ainsi, lors de nos recherches, nous avons distingué différents degrés de personnalisation, allant de simples conseils s’appuyant sur un questionnaire, au Do It Yourself (DIY), mais aussi à la création par la marque du produit final, en usine, en point de vente ou directement par un appareil connecté.
Et nous nous rendons compte que la personnalisation dans les cosmétiques prend tout son sens aujourd’hui, notamment en ces temps de remise en question de nos modes de consommation ou de retour sur soi, renforcés par la crise sanitaire mondiale que nous traversons. En effet, cette tendance à la personnalisation est d’autant plus forte depuis l’expérience du premier confinement. Du fait du confinement mais aussi du port du masque, 50% des femmes affirment vouloir améliorer la qualité de leur peau (Enquête IFOP 2020 sur 3018 personnes). Selon une étude YouGov réalisée en exclusivité pour LSA (sur un échantillon de 1006 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population française), 39% des Français constatent des effets visibles sur leur peau à cause du masque, que ce soient des rougeurs, des irritations, des démangeaisons ou encore de l’acné. Un nouveau terme a notamment été inventé pour décrire cette acné soudaine, le “maskne”. En réaction à l’apparition de ces imperfections, on opte alors pour le “no make-up”, comprendre le “sans-maquillage” : en 2017, 42% des femmes se maquillaient quotidiennement, contre la moitié lors du premier confinement (21% en 2020, Enquête IFOP 2020 sur 3018 personnes). Certaines femmes ont donc laissé les produits de maquillage de côté au profit de produits de soin, afin d’améliorer l’état de leur peau et la laisser respirer. L’évolution du marché dermocosmétique est bien la preuve de cet intérêt croissant pour les produits de soin aux propriétés dermatologiques. En effet, le rapport annuel 2020 de L’Oréal nous apprend qu’il a connu une croissance de +2% en 2020 alors que le marché global de la beauté faisait face à une baisse de -8% de son taux de croissance (L’Oréal, rapport annuel 2020, Marché Cosmétique).
Cette pandémie mondiale a également entraîné la fermeture de la plupart des points de vente physiques pour une durée plus ou moins longue, poussant les marques à réinventer le parcours d’achat et à s’affirmer sur le e-commerce. L’année qui vient de s’écouler a créé une réelle incertitude vis-à-vis du futur et a prouvé qu’il était important de se montrer adaptable et agile dès lors qu’un imprévu apparaît. Cela a accéléré le développement des ventes en ligne, déjà bien présentes en raison du changement progressif de comportement du consommateur. Ce dernier se montre de plus en plus zappeur à l’égard des marques auxquelles il était jusqu’alors fidèle, et il réclame plus d’attention de leur part. Celles-ci ont ainsi repensé leur stratégie en plaçant le consommateur au cœur de leur business model. La personnalisation apparaît alors comme un moyen de répondre à ces nouvelles exigences du consommateur, mais aussi comme un moyen de se différencier en jouant sur une amélioration de l’expérience client. La prise en compte de l’individualité de chaque consommateur le fait se sentir privilégié et rend donc l’expérience client unique. De cette manière, la marque crée du lien et fidélise le consommateur qui aura la sensation d’avoir enfin trouvé une marque qui le comprend. La tendance à la personnalisation des soins cosmétiques pour la peau va alors au-delà d’une réponse des marques à des problématiques de peau que rencontrent les consommateurs. Elle dépasserait l’aspect purement dermatologique qui est de proposer une offre de produits adaptés à la peau de chaque individu, en suivant également une logique marketing qui s’appuie sur un phénomène psychologique que nous analyserons plus précisément au cours de notre développement.
Ces différents points nous poussent à croire en cette nouvelle tendance que proposent les marques. Mais comme pour toute tendance, nous pouvons nous interroger sur sa pertinence et sur les motivations qui se cachent derrière le développement de la personnalisation des produits de soin pour la peau. Nous comprenons qu’il y a un enjeu de différenciation pour les marques, mais ces nombreux degrés de personnalisation que nous avons distingués questionnent la crédibilité des degrés les moins poussés. Ne serait-ce alors pas un abus de langage, délibérément employé par les marques ? Par ailleurs, le désir de personnalisation dans les produits skincare ne serait-il pas une nouvelle obsession de l’Homme à vouloir atteindre un idéal pourtant inatteignable ? Cette tendance ne serait-elle pas également entretenue par les consommateurs eux-mêmes ? Finalement, il s’agit de se poser la question suivante :
La personnalisation dans le skincare :
une promesse ambitieuse qui séduit autant les marques que les consommateurs ?
L’objectif de ce projet de fin d’études est d'étudier la tendance à la personnalisation des produits de soin pour la peau, en commençant par comprendre comment elle est apparue et s'est stratégiquement organisée. C’est aussi de venir questionner son développement, sa réalité et le discours qui est opéré par les marques incarnant cette offre. Lors de notre argumentation, nous utiliserons l'appellation générique “le consommateur” pour désigner toute personne qui consomme des produits skincare. Nous avons conscience de la multiplicité des profils d’individus consommant des produits cosmétiques et avons fait le choix d’utiliser cette dénomination par souci de clarté.
Dans un premier temps, nous analyserons comment la personnalisation du skincare est apparue dans le monde des cosmétiques alors qu’elle était le terrain privilégié des marques de haute couture. Puis, nous nous interrogerons sur le développement actuel de l’offre de skincare personnalisé et sa pertinence pour la peau des consommateurs. Enfin, nous nous pencherons sur la réalité de cette tendance et ce que cela implique tant pour les marques que pour les consommateurs.