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Un discours de marques entretenant la tendance ​
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Une fois la tendance décryptée par les marques, ces dernières vont orienter leur communication vers ces nouvelles attentes énoncées par les consommateurs. Nous avons évoqué par exemple les attentes relatives à la composition des produits, au sourcing des ingrédients, à la fin de la standardisation, et ce sont des arguments que les marques vont venir mettre en avant dans leur discours. Le but étant de fidéliser les clients mais aussi d’en conquérir de nouveaux. C’est pourquoi les marques doivent sans cesse veiller à choisir les mots justes et percutants qui sauront toucher la sensibilité de l’ensemble de la cible de clients visée.
Concernant les marques de produits skincare personnalisés, un discours particulier est alors mis en place pour adresser la cible et ainsi entretenir la tendance. Un terme qu’il est difficile de ne pas croiser aujourd’hui sur ce marché est celui de “diagnostic”. L’ensemble des marques développant une offre de soins personnalisés, tous degrés confondus, semble se mettre d’accord sur l’importance de l’étape de diagnostic cutané dans le développement et la communication autour de ces mêmes produits. Ce terme peut être considéré comme un argument apportant de la crédibilité, une valeur presque scientifique à cette offre, notamment pour convaincre le consommateur de l’efficacité du produit final. A ce sujet, toutes les marques ne sont pourtant pas égales et développent des diagnostics plus ou moins poussés, et par conséquent des produits répondant plus ou moins bien aux problématiques de peaux de leurs clients. Nous y reviendrons un peu plus tard dans notre développement. Toujours dans cette même démarche, nous retrouvons chez la plupart des marques des expressions telles que “laboratoire de formulation”, “formulé par des experts”, “élaboré par des professionnels”, “expertise scientifique”, “prouvé scientifiquement” pour rassurer le client sur la qualité du produit final qui sera délivré. Certaines marques vont jusqu’à reprendre des termes médicaux tels que le fameux “diagnostic" mais aussi “consultation”, “Docteurs” ou encore “clinique”.
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​ Dans leur service de personnalisation, les marques de skincare personnalisé tentent d’individualiser chaque client pour répondre à ce besoin d’unicité que nous décrivons en partie I. Elles parlent alors du caractère “unique” de chaque peau et de la nécessité de comprendre sa peau. A ce sujet, Typology dénote en cherchant à valoriser toutes les peaux, puisqu’il existe selon eux non pas 4 mais 24 types de peaux. La curiosité du consommateur est alors attisée ; il est ainsi invité à découvrir quelle est la sienne à travers le diagnostic de peau disponible sur leur site. De manière générale, les marques présentes sur ce marché utilisent en grande quantité des expressions ou termes tels que “sur-mesure”, “unique”, “personnalisé”, les “envies” du consommateur, “rien que pour vous”. Et elles emploient généralement des adjectifs possessifs comme “mon”, “moi”, “ma”, "votre". A ce propos, ce besoin du consommateur d’avoir son produit personnalisé, rien qu’à lui, est adressé jusque dans le nom même donné au produit final. En effet, la plupart des marques présentes sur ce marché proposent un service de customisation du packaging du produit personnalisé pour y inscrire le nom du client pour lequel il a été formulé. Suivant le même principe, nous noterons que la marque IOMA (qui signifie d’ailleurs "À moi" à l’envers) nomme directement ses produits “ma crème”, “mon sérum” et “mon soin yeux” :
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Ainsi, l’emploi de ces différents termes favorise le développement de cette tendance en permettant à la fois de rassurer le client sur l’offre particulière que constituent les produits de soin personnalisés, mais aussi de s’adresser à lui en tant que personne singulière. Les marques ne cherchent plus uniquement à répondre à ce besoin d’unicité des consommateurs, elles l'entretiennent par la force des mots qu’elles emploient. Mais à partir de ce discours commun, comment les marques en skincare personnalisé se démarquent-elles de leurs concurrents ?
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Au sein même de ce marché de niche qu’est la personnalisation dans le skincare, les positionnements des marques et donc leurs argumentaires auront tendance à varier :
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Comme nous l’avons évoqué en première partie, le développement du skincare personnalisé semble aller de pair avec une volonté des consommateurs de trouver des formules plus naturelles et dépourvus d’ingrédients controversés ou ne respectant par leur peau. Certaines marques de soins personnalisés insistent à ce titre, dans leurs discours, sur la simplicité et la naturalité des formules. Laboté déclare sur son site : “Nos Docteurs en Pharmacie sélectionnent les actifs de plantes médicinales dont les vertus répondent naturellement à vos besoins cutanés. Leur expertise permet de concevoir des soins parfaitement dosés et riches en actifs botaniques. Nous ne gardons que l'essentiel.” (site Laboté). Typology développe un discours basé sur le côté minimaliste de ses formules en déclarant en première page de son site : “Des formules composées de 10 ingrédients ou moins, d'origine naturelle et sans superflu.” (site Typology). Nous pouvons enfin citer Etat Pur : la marque du groupe NAOS affirme “donner à chaque peau ce dont elle a besoin. Rien de plus, rien de moins” (site Etat Pur).
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La dimension environnementale est aussi un point clé utilisé par certaines marques pour se démarquer. Laboté inscrit sur son site “Laboté incarne et promeut un nouveau modèle cosmétique, à l'opposé de la production de masse, pour mettre fin à la sur-consommation” (site Laboté). Le but étant ici pour la marque d’associer la personnalisation dans le skincare à une diminution de l’empreinte écologique de chaque client unique, qui sera amené à utiliser moins de produits. Se faisant, elle répond à une demande croissante des consommateurs, comme nous l’avons vu en première partie, mais elle implique aussi le consommateur dans cette démarche. Le fait de prendre conscience du caractère unique de sa peau devient alors un acte fort d’engagement du consommateur pour la réduction de la pollution et du gaspillage.
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MADY ou encore Function of Beauty baseront davantage leur communication sur le pouvoir du consommateur dans la conception et le choix de ses produits. Le consommateur dicte à la marque ses envies, ses préférences. Il a alors le sentiment de devenir maître de la composition de ses produits. Function of Beauty inscrit sur son site internet : “Your hair / skin / body type. Your formula. Your fragrance. You name it (literally)”, laissant supposer au client qu’il pourra définir sa propre formule (site Function of Beauty).
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D’autres marques comme IOMA, My Blend ou encore Romy baseront davantage leur discours sur la recherche et les avancées technologiques pour justifier de l’efficacité de leurs formulations. Romy parlera alors de “nouvelle ère du soin” avec son produit HyLab (site Romy), quand IOMA mettra l’accent sur son “diagnostic haute technologie” et sur la performance de sa base de données : “IOMA propose des soins à l’efficacité prouvée, créés et formulés à partir de L’Atlas de la Peau IOMA, une base de données d’exception de plus de 1 million de diagnostics, qui continue à s’enrichir chaque jour” (site IOMA).
Mais la volonté de se démarquer de certaines marques semble aujourd’hui conduire à une surenchère d’arguments marketing. Codage parlera ainsi de “vrai sur-mesure” quand Romy avancera “un VRAI soin sur-mesure !” (site Romy), supposant alors plusieurs niveaux de sur-mesure. Et c’est ce que nous tenterons d’analyser un peu plus loin dans notre développement.
Digitalisation et multiplication des tendances
Avec l’essor des nouvelles technologies (Internet, outils d’analyse et d’exploitation de données, etc.), les marques n’ont jamais disposé d’autant d’informations sur les consommateurs. En effet, le client qui fait ses recherches en ligne pour être guidé dans son achat, accepte des “cookies” (nom particulièrement inoffensif et même amical). Et loin du délicieux petit biscuit rond personnalisable à souhait, le cookie accepté est en réalité un “petit fichier déposé sur le disque dur à l'insu de l'internaute, lors de la consultation de certains sites web, et qui conserve des informations en vue d'une connexion ultérieure” selon le dictionnaire Le Robert. En bref, le cookie enregistre les informations de visite des consommateurs sur un site (nombre de visites, nombre de pages vues, etc.) afin d’améliorer leur future expérience et faciliter leur parcours utilisateur. Il est vrai que le cookie pourra faciliter leurs futures visites, s’il mémorise leur identifiant de connexion et pré-remplit le champ dédié par exemple. Mais le cookie aussi appelé “traceur” est une véritable arme de tracking pour les marketeurs. En effet, il permet de connaître la navigation du client et de savoir à quel moment celui-ci quitte le site et le processus d’achat par exemple. Les cookies permettent aussi de faire du remarketing, c’est-à-dire, proposer plus tard aux clients les produits qui l’intéressaient. Il existe aussi des typologies différentes de cookies : les propriétaires et les tierces parties. Les informations issues des cookies propriétaires sont celles qui seront recueillies par le site même qui est visité. Les informations issues des cookies tierces parties sont très utilisées par les sites marchands, réseaux sociaux et entreprises. Si le consommateur effectue une recherche sur les crèmes anti-rides par exemple, les cookies tiers qui ont suivi son cheminement sur le web vont enregistrer cette information. Plusieurs jours après, en se rendant sur d’autres sites, des publicités ciblées lui proposeront d’acheter des crèmes anti-rides, voire des crèmes personnalisées.
La collecte de ces données est cruciale pour les marques. C’est un moyen pour elles de scruter les parcours de recherche des consommateurs et de comprendre vers quoi ils se tournent lorsqu’ils réalisent des achats en ligne. Tous les clics effectués, les mots tapés, les sites parcourus sont enregistrés et définissent des envies et besoins exprimés indirectement par les consommateurs puisque ces derniers n’ont pas forcément conscience des données réellement collectées par les marques. Ainsi, par un effet en chaîne, les consommateurs entendent parler de la personnalisation, s’y intéressent et mènent leur enquête sur Internet pour comprendre en quoi cela consiste. De leur côté, les marques détectent cet intérêt croissant et finissent alors par se lancer à leur tour sur ce nouveau marché de la personnalisation. Nous parlons alors de marketing “data-driven”: il faut entendre par là “qui se base sur les données”. Ce nouveau type de marketing constitue une opportunité pour les marques de proposer le bon produit, pour le bon client, au bon moment. Elles détectent les grandes tendances et peuvent modifier leurs stratégies et créer des produits qui seront en adéquation avec les besoins exprimés par les consommateurs. Une fois ces nouveaux produits créées, elles pourront alors utiliser des campagnes publicitaires mieux ciblées grâce aux données, et communiquer sur leur nouveau concept de personnalisation en mettant en avant ces engagements très valorisés par les consommateurs, comme la prise de conscience environnementale, le besoin de simplicité et de naturalité ou la fin de la standardisation et de la production de masse associée. Elles sont à l’écoute de leur marché et adoptent ce que nous appelons une démarche “customer-centric”, c’est-à-dire, centrée sur le client.
Des communications ciblées
Typology oriente un grand nombre de ses posts Instagram, comme celui ci-contre, sur la composition de ses produits. La marque cherche ainsi à illustrer sa démarche en faveur de l'environnement.
Elle valorise ici la naturalité et la simplicité des formules des produits Typology, deux besoins grandement exprimés par les consommateurs.
Avec le développement d’Internet, les frontières géographiques se sont peu à peu atténuées. Très vite, il a été possible de discuter aisément avec une personne située sur un autre continent, mais aussi de découvrir de nouveaux produits par le biais des achats en ligne. Moyennant des frais de ports et des frais de douane, il a été possible d’acheter des produits américains par exemple, qui n’étaient pas distribués en France. Puis, des places de marché comme eBay ont pu connecter les particuliers entre eux. Monsieur Tout-le-monde français a pu vendre à un autre Monsieur Tout-le-monde canadien. L’essor et la démocratisation d’Internet ont abaissé les barrières à l’entrée du commerce international. Les vendeurs n’ont dès lors plus forcément besoin d’avoir des locaux, des grosses équipes et une logistique permettant d’exporter à l’international. En effet, quiconque dispose d’un appareil mobile et d’une connexion Internet peut vendre partout dans le monde. Cela a facilité l’émergence de nouveaux acteurs : indépendants comme entreprises “pure players” (comprendre, uniquement en ligne) ont pu se lancer à l’assaut de nouveaux marchés. La concurrence s’est donc accrue : ces indépendants et entreprises purement digitales, n’ont pas les mêmes structures de coûts que les grandes entreprises, si bien qu’elles ont pu faire pression à la baisse sur les prix. “Internet est à la fois un nouveau canal de distribution des biens et services, un nouveau support de communication et d’information et un nouveau mode de coordination des activités qui amène la plupart des entreprises à repenser leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire leur façon de travailler, de produire et de vendre” (Thierry Pénard, 2006). Et c’est ce que nous constatons en skincare personnalisé avec des marques entièrement digitalisées comme Typology, MADY ou encore Function of Beauty.
Internet a aussi bouleversé nos comportements : Bruno Patino affirme dans La civilisation du poisson rouge : Petit traité sur le marché de l’attention (2019), que la durée d’attention des Millennials, ou génération Y, est de 9 secondes. Autrement dit, l’attention des 25-35 ans est très volatile et est facilement captée par une alerte, une notification. C’est notamment pour cela que les marques se positionnent fortement sur les réseaux sociaux afin de créer une plus grande présence en ligne, communiquer plus facilement avec leurs clients et ainsi favoriser l’émergence d’une communauté. Ces communautés sont au cœur des nouveaux business models dits “community-based”. Lorsque le client est satisfait de son expérience utilisateur, que son NPS (Net Promoter Score) est élevé, il est fidèle à cette marque et sera plus enclin à la promouvoir autour de lui. Les utilisateurs s'engagent de plus en plus envers la marque, non seulement en ramenant de nouveaux clients mais aussi en venant en aide aux autres utilisateurs. C’est l’exemple de Blablacar, où la communauté des Helpers, utilisateurs expérimentés et bénévoles, répondent dans le tchat aux questions posées et viennent en aide aux autres utilisateurs.
Les Helpers de Blablacar
Les Helpers sont une communauté d'utilisateurs expérimentés et bénévoles de l'application Blablacar qui s'entraident en répondant aux questions posées dans le chat.
Blablacar réussit de cette manière à créer de l'engagement de la part des consommateurs.
La personnalisation au travers des valeurs du “retour au simple'', du “mieux consommer” ou encore du “besoin de reconnaissance”, est un secteur se prêtant parfaitement au développement de business model basés sur la création de communautés. Nous avons évoqué dans la première partie l’importance du digital dans le développement de la personnalisation en cosmétique. En effet le digital est perçu comme un “game changer” du marché en accélérant l’apparition de nouveaux acteurs et de nouvelles communautés. Concernant la personnalisation, elle permet aux marques de se positionner sur un créneau engagé qui contrebalance avec les motivations des marques conventionnelles, souvent très orientées “business”, venant ainsi satisfaire les attentes des consommateurs en termes d’engagements. C’est une réaction presque militante de la part de ces marques, comme nous pouvons le comprendre à travers leur discours parfois ouvertement critique. Nous pouvons citer à ce titre la marque Typology, dont le fondateur déplore le manque de transparence des marques de cosmétiques traditionnelles. C’est d’ailleurs sur ce credo “in small we trust” que de nombreuses marques indies (indépendantes) se sont lancées. Les consommateurs préfèrent faire confiance aux petites marques plutôt qu'aux grands acteurs déjà établis. Pour ce faire, les marques indies sont résolument digitales : selon une étude Nielsen, aux Etats-Unis les 20 plus grandes marques génèrent 90% des ventes dans les magasins conventionnels, mais ne représentent que 14% des ventes en ligne (Comment les 'indies brands" redéfinissent le paysage beauté, 2018) ! En plus de cela, 74% des Millennials et 80% des Gen Z affirment que les réseaux sociaux influencent directement leurs achats (David Kirkpatrick et Peter Adams, 2017 - Marketing Dive). C’est donc naturellement que les marques indies ont ciblé leurs campagnes marketing sur des hashtags et sur des plateformes comme Facebook, Instagram ou encore Twitter, mais font aussi appel à des influenceurs pour promouvoir leur marque. Nous pouvons prendre l’exemple de la marque MADY (à la fois indie et positionnée sur le secteur de la personnalisation) qui a noué un partenariat avec l’influenceuse Fiodancer, aux 13 000 followers sur Instagram et aux 155 000 vues sur TikTok, afin de vanter les propriétés “bio de qualité, personnalisables” des produits MADY.