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De la haute couture au grand public

       Si nous nous intéressons à l’essor de la personnalisation, nous nous rendons compte que cela remonte à plusieurs siècles déjà, mais dans une sphère plus luxueuse. Avant d’être la personnalisation plus “accessible” que nous connaissons aujourd’hui, cette offre était en effet réservée au monde de la haute couture, qui proposait des vêtements, parfums et soins uniques, parfaitement conformes aux mesures de leurs clients. Au XVIIIème siècle, les personnes qui en avaient les moyens, pouvaient ainsi faire faire leurs vêtements par un tailleur et se rendaient dans l’atelier de ce dernier afin de prendre leurs mesures et réaliser des pièces uniques. Ces pièces étaient alors produites aux mensurations et envies de la personne passant commande, puis étaient souvent brodées aux initiales du propriétaire. Cette offre sur-mesure va par la suite être surpassée par la production en série, bien moins chère et plus rapide, prenant la forme de séries limitées dont les pièces étaient numérotées. 

Nous pouvons à ce propos citer le designer graphique français Pascal Gautrand qui recherchait avant tout l’unicité dans ses articles produits en série et qui a exposé un point de vue intéressant sur cette quête d'unicité : “La quête de l’unique est l’éternel paradoxe de l’histoire de la mode et, surtout, de l’identité. Tout un chacun cherche à appartenir à un groupe, à s’inscrire dans une tendance, et a aussi besoin de se démarquer, d’affirmer sa personnalité” (Frédéric Martin-Bernard, 2012 - La personnalisation, un luxe très personnel). Le sur-mesure et la personnalisation servaient la haute couture et ses clients comme signe d’ascension sociale. C’était alors un moyen de se démarquer des individus appartenant à une autre classe sociale, en plus de l’aspect purement esthétique que cela apportait. Nous pouvons aussi imaginer que cela répondait à des besoins purement pratiques, comme Louis Vuitton chez qui on proposait déjà au XIXème siècle de marquer les bagages afin d’aider les clients à identifier le leur lors de leurs déplacements, comme en témoigne la malle du Comte Curt Haugwitz Hardenberg Reventlow dont le charisme faisait sa réputation à l’époque (Paris Malle2luxe). 

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       C’est aussi une marque d’affection, voire de reconnaissance, que d’offrir un objet personnalisé à une personne que l’on considère beaucoup ; celle-ci se sentira alors écoutée, comprise, appréciée pour ce qu’elle est et ce qu’elle aime. En 1954, la maison Cartier offrait un écrin de rouge à lèvres personnalisé à l’actrice Audrey Hepburn : en or 18 carats et orné d’un saphire et de ses initiales, cet objet d’art est unique. Encore aujourd’hui, la haute couture, et de manière générale le luxe, repose sur cette notion de sur-mesure et d’exclusivité. Mais elle cherche aussi à rendre ses créations plus accessibles et à démocratiser ses services. Cela s’apparente alors plus à des collections de prêt-à-porter qui ne sont plus du sur-mesure. 


       La personnalisation semblait donc bien exclusive et réservée à ce monde très select. Or, nous ne pouvions pas imaginer qu’elle deviendrait bien des années plus tard un outil marketing aussi puissant que ce qu’elle est aujourd’hui. Car de nos jours, tout se personnalise. Du simple mail dont on a juste à changer le nom du destinataire, aux chaussures de ville dont on peut choisir jusqu’à la couleur des lacets, la personnalisation a également été prise d’assaut par les entreprises cosmétiques. Nous trouvons désormais des fonds de teint à la teinte “parfaite”, des rouges à lèvres qui s’adaptent au pH des lèvres de chacun ou bien des crèmes de jour qui répondent aux besoins spécifiques de la peau du consommateur. Et nous comprenons que si la personnalisation connaît un tel succès, c’est parce qu’elle suscite toujours ce sentiment de valorisation qu’elle suscitait déjà chez le consommateur à ses origines. La marque de skincare personnalisé IOMA joue d’ailleurs sur cette valorisation en accolant le terme « luxe » à ses produits personnalisés, comme en témoigne les premiers éléments présents sur le site internet de la marque.

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La personnalisation, un luxe ?

Dès la page d'accueil, la marque IOMA vient ancrer ses produits "sur-mesure" dans une offre associée au luxe. 

Avec IOMA, nous comprenons alors que la personnalisation constitue un luxe.

Une réponse à un besoin d'unicité

 

       Ainsi, les débuts de la personnalisation se sont faits dans un univers luxueux auquel peu de personnes pouvaient prétendre. Dans le secteur des cosmétiques, elle est apparue plus tardivement, dès lors que les marques ont commencé à parler de peaux sensibles (pour la cible féminine principalement) comme nous l’a indiqué Ariane Goldet, ancienne rédactrice en chef Beauté-Forme-Santé chez Marie Claire, lors de notre échange (Annexe I). En effet, jusque-là, les marques étaient exclusivement centrées sur le produit (product-centric). Elles développaient des produits selon leur cahier des charges et le consommateur devait alors trouver son bonheur dans les rayons des points de vente physiques ou en ligne. C'était donc au client de s'adapter à l'offre existante et non l'inverse. Ainsi, les marques avaient une forte influence sur les motivations d’achat des consommateurs. Face à cette nouvelle communication des marques sur les peaux sensibles, les femmes ont pris le temps d’observer leur propre peau, d’en comprendre le fonctionnement et les réactions, et elles se sont alors convaincues qu’elles avaient elles aussi la peau sensible et qu’elles méritaient des soins qui répondent à ce nouveau besoin. 

 

“Il y a d’abord quand on a commencé à parler des peaux sensibles. Et alors là toutes les femmes se sont dit “ma peau est différente [de celle de] ma voisine”. Et dans les études, on s’est aperçu que toutes les femmes pensaient qu’elles avaient une peau sensible”.

 (Entretien Ariane Goldet, janvier 2021 - Annexe I)

Au-delà de cette sensation d’avoir la peau sensible, les femmes (les marques orientaient leur communication sur une cible féminine) ont surtout eu le sentiment d’être uniques et de mériter un traitement qui leur soit propre. En parallèle de prendre le temps de se renseigner sur leurs problématiques de peau auprès de professionnels, elles ont pu être guidées par les dermatologues ou autres experts de la peau dans leurs choix de cosmétiques. Une relation de confiance s’est alors créée, étant donné que le nouveau discours des marques témoignait de l’intérêt porté au besoin d'unicité des consommateurs. Les marques développent de cette manière une dimension privilégiée qui rappelle la relation qu’entretiennent les acteurs du luxe avec leurs clients et clientes. 


       L’idée que la peau est unique et possède des besoins spécifiques a par ailleurs été stimulée par une segmentation du marché plus poussée. La segmentation est essentielle, et notamment en cosmétique, puisqu’elle permet, lorsqu’elle est bien faite, de s'adapter à un public hétérogène. Le marché du skincare est complexe, regroupant de nombreux profils de consommateurs ayant des habitudes, routines et besoins différents. En rendant la segmentation la plus précise possible, les marques peuvent ainsi viser au mieux les attentes d’un grand nombre de consommateurs. Dans la catégorie des soins cutanés, nous identifions alors des produits répondant à des problématiques particulières, telles que l’apparition de rides, de taches, de rougeurs par exemple, et des produits aux textures et utilisations différentes, tels que des sérums, des crèmes, des exfoliants ou des lotions. Or, dès lors que les marques ont compris que les consommateurs prenaient conscience de la spécificité de leur peau, elles ont visé une segmentation qui dépassait le produit seul, en prenant également en compte les particularités des consommateurs du marché (passage d’une démarche product-centric à une démarche customer-centric). Cela suppose que de nouveaux critères ont été retenus, tels que des critères sociodémographiques, géographiques, économiques, comportementaux ou bien de style de vie (âge, sexe, revenu, lieu d’habitation, métier, loisirs, etc). Et compte tenu du plus grand nombre de critères retenus, la stratégie marketing doit être repensée. Selon le rapport financier 2019 du Groupe L’Oréal, le marché du skincare domine le marché mondial des cosmétiques avec 40% de part de marché. Cette part de marché majoritaire force les très nombreuses marques à se démarquer et ainsi avoir une segmentation actualisée et performante. En assurant une segmentation bien définie, les marques disposent d’un atout de différenciation vis-à-vis de leurs concurrents puisqu’elles proposent une offre élargie avec des produits aux fonctionnalités spécifiques (Sara Tascon, 2020).

 

       L’offre de cosmétiques personnalisés témoigne d’une segmentation poussée du marché du skincare et ce marché répond ici parfaitement à ce besoin d’unicité des consommateurs. Nous pouvons considérer qu’il s’agit à la fois d’un phénomène marketing (création d’un marché de niche), et d’un phénomène psychologique, faisant prendre conscience aux femmes des spécificités de leur peau. “Moi je crois que c’est surtout psychologiquement humain de penser qu’on est unique” nous disait Ariane Goldet (Annexe I). Elle ajoutait qu’“il n’y a rien de plus chic que de dire “Moi j’ai une peau extrêmement sensible et je ne supporte pas…” C’est une valorisation presque” (Annexe I). Cette offre de personnalisation de soins joue donc bien sur la psychologie des consommateurs en leur donnant l’agréable sensation d’être unique et de devenir une priorité pour les marques. 

Un trop-plein de produits impersonnels

       Cette segmentation grandissante constitue un moyen pour les marques de capter davantage de parts de marché. Elle leur permet par ailleurs de se rapprocher davantage de leurs clients en proposant des gammes plus larges permettant de répondre à de nouvelles problématiques spécifiques. Par la segmentation, les marques font ainsi une première entrée dans la personnalisation. Si nous prenons comme exemple une crème de jour ciblant les taches, ce produit est à même de satisfaire le consommateur ciblé, en ce sens qu’il a été spécifiquement conçu et formulé pour atténuer les taches existantes et réduire leur réapparition. La satisfaction de ce client potentiel repose alors sur le fait que la marque aura adressé son besoin personnel. Mais pour autant, ce produit, aussi spécifique soit-il, reste impersonnel car il vise tous les consommateurs susceptibles d’avoir cette même problématique de peau. Ces produits répondant à des problématiques ciblées sont aujourd’hui proposés par un très grand nombre de marques. Et pour se démarquer, celles-ci travaillent principalement leur discours marketing, leur promesse et l’image qu’elles renvoient. Cependant, la composition des produits repose souvent sur le même ingrédient principal d’une marque à une autre, comme

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par exemple l’acide hyaluronique qui a su gagner en popularité sur le marché des cosmétiques. Petit à petit, le marché s’est alors retrouvé saturé de produits impersonnels, aux promesses pourtant toutes plus incroyables les unes que les autres : le dernier sérum de L’Oréal, promet une diminution de 47% des rides en 6 semaines seulement, et ce grâce notamment à la présence d’1,5% d’acide hyaluronique pur ! Le consommateur fait alors face à une offre très large de produits relativement similaires pour lesquels il devient difficile de faire un choix. Les consommateurs se sont retrouvés face à des rayons remplis de crèmes et autres soins promettant les mêmes résultats mais ne répondant pas spécifiquement à leurs besoins. Une certaine frustration a pu se faire ressentir chez les consommateurs, ne sachant vers quelle marque ou produits se diriger et finissant par adopter un comportement zappeur dans l’espoir de trouver le bon produit. Nous assistons alors progressivement à un changement dans le comportement des consommateurs et par la même occasion à un changement dans le positionnement des marques. On ne veut plus se contenter d’appliquer une crème de jour achetée en grande surface. On cherche à adopter une routine unique et à la différencier de la routine de sa voisine. “Le consommateur souhaite être considéré non plus comme un segment de marché mais comme un individu unique” (Les Echos Etudes, Cosmétique sur-mesure et nouvelles technologies : un nouveau marché, septembre 2019).

 

       Finalement, du simple marketing basé sur le fameux “mon produit est le meilleur”, les marques cherchent aujourd’hui des éléments de différenciation qui agissent sur l’expérience client. Elles visent à mieux accompagner les consommateurs dans leurs actes d’achat, tout en améliorant leur légitimité en tant que marques de produits skincare, comme le précisait Ariane Goldet lors de notre échange : “Donc est-ce que ce sur-mesure, il n’est pas arrivé aussi à un moment où le conseil n’était pas assez pointu par rapport à ce que demandait la consommatrice. Parce que moi je l’ai vu arriver à ce moment là où les filles désertaient un petit peu les parfumeries parce que les conseillères étaient pas toujours top, les femmes savaient qu’elles étaient plus ou moins poussées par les marques. Donc tout ça, ça été un agglomérat de plusieurs choses" (Annexe I). Rejetant la standardisation, les consommateurs se sont tournés vers l’avis d’experts, principalement des dermatologues, qui ont su les conseiller sur le produit le plus adapté à leur(s) problématique(s) de peau. Nous retrouvons cette quête d’un besoin de s’affirmer en tant que personne unique. Cette tendance à la personnalisation apparaît donc comme une alternative à ce trop-plein de produits impersonnels et à la standardisation croissante, ces deux phénomènes ayant entraîné peu à peu une perte de confiance des consommateurs vis-à-vis des marques de cosmétiques. Face à un marketing de masse, il y a donc une exigence de personnalisation de la part des consommateurs. L’émergence de ces nouveaux business models basés sur la personnalisation caractérise donc une nouvelle opportunité des marques pour se démarquer en se rapprochant des consommateurs, dans un marché du skincare déjà saturé. D’autant qu’il devient de plus en plus simple de créer sa marque cosmétique en faisant appel à des laboratoires cosmétiques privés tels que Pôle Cosmétique.   

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Le laboratoire cosmétique privé Pôle Cosmétique propose de la sous-traitance pour les marques qui se lancent dans les cosmétiques. Par ses nombreux services, les laboratoires comme celui-ci participent à l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché des cosmétiques.

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